Fisterra
Je suis dans le train numéro 280 de 10h06, voiture 3. Il est 10h15, nous avons quitté Santiago depuis dix minutes. Dans onze heures, nous arrivons à Hendaye, ce qui me laisse le temps de noircir quelques pages. Revenons sur la journée d’hier.
Nous nous sommes levés avec un grand soleil pour notre première journée de repos. Nous avions les idées plus claires que la veille. Je me souviens de notre arrivée dans notre chambre. Les automatismes des trois derniers mois se sont trouvés balayés. J’étais perdue et ne savais plus par où commencer. Savoir quoi sortir du sac et dans quel ordre était compliqué. Mon quotidien venait d’être bouleversé. Je me sentais désemparée. J’allais devoir cesser d’aligner un pied devant l’autre des heures durant. Je devrai remiser mes bâtons de marche qui ne m’appartiennent pas mais que j’ai très envie de conserver (à ce sujet, je poserai la question Alain T Ressé en temps voulu). Après la douche, j’eu la surprise de découvrir une ampoule sur le côté de mon talon droit. J’avais bien senti un échauffement durant l’étape, mais j’étais loin d’imaginer qu’une ampoule viendrait m’éclairer en ce dernier jour. Une seule était apparue en tout début de voyage et je n’avais pas été ennuyée par la suite.
Après ce moment de flottement, lorsque j’ai pu aligner deux idées, nous sommes allés dîner dans un restaurant près du port. Nous y avons dégusté un excellent poisson. Puis, notre soirée fut occupée à réserver les derniers hôtels et billets de train pour notre retour.
Hier matin, après avoir quitté notre chambre et laissé nos sacs au restaurant de la veille, nous sommes partis pour la fin de la Terre. Le Cap Finisterre nous invitait à méditer sous la douce chaleur du soleil de novembre. Un émoi naissait lentement au fil de notre avancée vers cette fin rocheuse. Nous avons atteint la borne du kilomètre 0 du Camino. Cette balise est très significative. Elle met définitivement un terme au chemin. Étant visuelle, elle est par ce fait, marquante.
Plus loin, le phare trône fièrement sur son promontoire, dernier bâtiment avant l’océan. Il a cette faculté d’observer les eaux sur trois points cardinaux. Seul, le nord lui manque. À ses pieds, un amoncellement de roches se dirige dans un désordre naturel, vers l’Atlantique. Une symbolique chaussure sculptée rivalise avec les nôtres, sur une pierre. Elle est beaucoup moins érodée. Certaines des nôtres ont terminé en cendres deci delà. Les pèlerins ont ce rituel de brûler quelques-uns de leurs effets en ce lieu mystique.
L’air était empreint de sérénité. Peu de personnes étaient présentes, et leur esprit en parfaite osmose avec le lieu et le moment, dégageait une ambiance spirituelle, de contemplation, de recueillement même et pas seulement sur un plan religieux. Je me suis assise sur une pierre, fixant l’océan de mes yeux soudainement humides. Les vagues incessantes me soulevaient l’âme avec force. Je voulais rester à cet endroit pour une durée indéterminée. Quelque chose me retenait. Tout se mélangeait. Un regard intérieur scrutait avec soin, le chemin parcouru depuis Joigny. Il ouvrait mes yeux et mon cœur à la réalité de ma fabuleuse entreprise, à la chance d’être là, arrivée dans les conditions si fortement désirées. Je mesurais combien une telle satisfaction, un tel défi, pouvait propulser vers l’avant en engendrant une belle énergie. Toutes ces pensées miroitaient en moi en me procurant une profonde émotion entourée de bien-être. Je souhaite à chacun de ressentir au moins une fois dans sa vie une telle intensité.
Peu à peu, mon âme s’est apaisée, chassant toute pensée et laissant flotter mon corps. Je ne m’en remettais plus qu’aux éléments physiques qui m’entouraient. J’étais bien. Nous sommes répartis, le cœur léger.
Nous avons déjeuné dans ce même restaurant où nous attendaient nos sacs. La viande de bœuf était aussi excellente que l’était le poisson la veille. Nous étions sur la terrasse et Maria est passée dans la rue en contrebas. Nous l’avons interpellée et elle a rejoint notre table. Une belle façon de faire nos adieux. Gérard a plus ou moins discrètement glissé au serveur que c’était mon anniversaire. Et me voici gratifiée d’un second dessert, une part de tarte fromage chocolat ornée de deux bougies. Délicate attention qui aura marqué ce jour de fête.
À 15h, nous avons embarqué pour trois heures dans un bus à destination de Santiago. Le trajet est différent de celui du Camino. Nous avons longé l’océan, découvrant de fabuleux paysages aux roches concassées et parsemées de pins. Une belle lumière accompagnait cet ensemble mi-montagneux, mi-maritime. Arrivés à Santiago, nous avons récupéré nos affaires déposées en consigne avant notre départ pour Fisterra. Un système peu coûteux et très ingénieux que nos corps ont su apprécier. Un kilo de moins sur le dos et vous retrouvez des ailes. En regagnant notre hôtel, nous avons croisé Marie-Luce qui avait pris le bus du matin. Nous la retrouvons aujourd’hui dans le train. Afin de nous rapprocher de la gare, nous avions pris une chambre à trois cents mètres de celle-ci. Bien nous en a pris. Nous avons reçu un accueil des plus chaleureux autant à l’hôtel qu’au bar situé en face, pour le dîner. Nous aurons vraiment connu les extrêmes humainement parlant. C’est ce qui fait la richesse du chemin.
Le train suit le Camino Frances. C’est très confortable de faire le chemin dans un fauteuil.