Fisterra

Publié le par Isabelle Sanchis

Je suis dans le train numéro 280 de 10h06, voiture 3. Il est 10h15, nous avons quitté Santiago depuis dix minutes. Dans onze heures, nous arrivons à Hendaye, ce qui me laisse le temps de noircir quelques pages. Revenons sur la journée d’hier.
Nous nous sommes levés avec un grand soleil pour notre première journée de repos. Nous avions les idées plus claires que la veille. Je me souviens de notre arrivée dans notre chambre. Les automatismes des trois derniers mois se sont trouvés balayés. J’étais perdue et ne savais plus par où commencer. Savoir quoi sortir du sac et dans quel ordre était compliqué. Mon quotidien venait d’être bouleversé. Je me sentais désemparée. J’allais devoir cesser d’aligner un pied devant l’autre des heures durant. Je devrai remiser mes bâtons de marche qui ne m’appartiennent pas mais que j’ai très envie de conserver (à ce sujet, je poserai la question Alain T Ressé en temps voulu). Après la douche, j’eu la surprise de découvrir une ampoule sur le côté de mon talon droit. J’avais bien senti un échauffement durant l’étape, mais j’étais loin d’imaginer qu’une ampoule viendrait m’éclairer en ce dernier jour. Une seule était apparue en tout début de voyage et je n’avais pas été ennuyée par la suite.
Après ce moment de flottement, lorsque j’ai pu aligner deux idées, nous sommes allés dîner dans un restaurant près du port. Nous y avons dégusté un excellent poisson. Puis, notre soirée fut occupée à réserver les derniers hôtels et billets de train pour notre retour.
Hier matin, après avoir quitté notre chambre et laissé nos sacs au restaurant de la veille, nous sommes partis pour la fin de la Terre. Le Cap Finisterre nous invitait à méditer sous la douce chaleur du soleil de novembre. Un émoi naissait lentement au fil de notre avancée vers cette fin rocheuse. Nous avons atteint la borne du kilomètre 0 du Camino. Cette balise est très significative. Elle met définitivement un terme au chemin. Étant visuelle, elle est par ce fait, marquante.
Plus loin, le phare trône fièrement sur son promontoire, dernier bâtiment avant l’océan. Il a cette faculté d’observer les eaux sur trois points cardinaux. Seul, le nord lui manque. À ses pieds, un amoncellement de roches se dirige dans un désordre naturel, vers l’Atlantique. Une symbolique chaussure sculptée rivalise avec les nôtres, sur une pierre. Elle est beaucoup moins érodée. Certaines des nôtres ont terminé en cendres deci delà. Les pèlerins ont ce rituel de brûler quelques-uns de leurs effets en ce lieu mystique.
L’air était empreint de sérénité. Peu de personnes étaient présentes, et leur esprit en parfaite osmose avec le lieu et le moment, dégageait une ambiance spirituelle, de contemplation, de recueillement même et pas seulement sur un plan religieux. Je me suis assise sur une pierre, fixant l’océan de mes yeux soudainement humides. Les vagues incessantes me soulevaient l’âme avec force. Je voulais rester à cet endroit pour une durée indéterminée. Quelque chose me retenait. Tout se mélangeait. Un regard intérieur scrutait avec soin, le chemin parcouru depuis Joigny. Il ouvrait mes yeux et mon cœur à la réalité de ma fabuleuse entreprise, à la chance d’être là, arrivée dans les conditions si fortement désirées. Je mesurais combien une telle satisfaction, un tel défi, pouvait propulser vers l’avant en engendrant une belle énergie. Toutes ces pensées miroitaient en moi en me procurant une profonde émotion entourée de bien-être. Je souhaite à chacun de ressentir au moins une fois dans sa vie une telle intensité.
Peu à peu, mon âme s’est apaisée, chassant toute pensée et laissant flotter mon corps. Je ne m’en remettais plus qu’aux éléments physiques qui m’entouraient. J’étais bien. Nous sommes répartis, le cœur léger.
Nous avons déjeuné dans ce même restaurant où nous attendaient nos sacs. La viande de bœuf était aussi excellente que l’était le poisson la veille. Nous étions sur la terrasse et Maria est passée dans la rue en contrebas. Nous l’avons interpellée et elle a rejoint notre table. Une belle façon de faire nos adieux. Gérard a plus ou moins discrètement glissé au serveur que c’était mon anniversaire. Et me voici gratifiée d’un second dessert, une part de tarte fromage chocolat ornée de deux bougies. Délicate attention qui aura marqué ce jour de fête.
À 15h, nous avons embarqué pour trois heures dans un bus à destination de Santiago. Le trajet est différent de celui du Camino. Nous avons longé l’océan, découvrant de fabuleux paysages aux roches concassées et parsemées de pins. Une belle lumière accompagnait cet ensemble mi-montagneux, mi-maritime. Arrivés à Santiago, nous avons récupéré nos affaires déposées en consigne avant notre départ pour Fisterra. Un système peu coûteux et très ingénieux que nos corps ont su apprécier. Un kilo de moins sur le dos et vous retrouvez des ailes. En regagnant notre hôtel, nous avons croisé Marie-Luce qui avait pris le bus du matin. Nous la retrouvons aujourd’hui dans le train. Afin de nous rapprocher de la gare, nous avions pris une chambre à trois cents mètres de celle-ci. Bien nous en a pris. Nous avons reçu un accueil des plus chaleureux autant à l’hôtel qu’au bar situé en face, pour le dîner. Nous aurons vraiment connu les extrêmes humainement parlant. C’est ce qui fait la richesse du chemin.
Le train suit le Camino Frances. C’est très confortable de faire le chemin dans un fauteuil.

 

Fisterra
Fisterra
La fin du Camino

La fin du Camino

Fisterra
Le phare de Fisterra

Le phare de Fisterra

Fisterra
Fisterra
Fisterra
Fisterra
Fisterra
Mais où est la tomate cerise ?

Mais où est la tomate cerise ?

Fisterra
Fisterra
Fisterra
Fisterra
Avec Maria

Avec Maria

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A
Bonjour à vous 2 !<br /> Et bien les grands esprits se rencontrent car ALAIN T Ressé (comme tu dis) avait l'idée de t'offrir ces bâtons de marche qui n'ont fait avec moi que trop peu de kilomètres!<br /> Il serait égoïste de récupérer désormais tes compagnons de marches ! (je ne parle pas de Gérard mais bien des bâtons ! :)<br /> C'est donc cadeau Isabelle , tu les as bien mérités<br /> Bises<br /> Alain
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G
Particulièrement puissantes ces "dernières photos"..... Emouvant.... on espère avoir encore qques "CR" pour l'APRES..... tout aussi intéressant que le PENDANT..... des bisous Force 10 au carré :D
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E
Il falaise que ça sorte...<br /> Comme prévu nous avons bouclé les 3 derniers km ce matin en nous rendant à la pointe de Cap Finisterre.Hier soir nous étions dans un état second, nous ne savions plus exactement où nous étions, à l'ouest pour sûr ! C'était comme si ce foutu chemin ne voulait pas qu'on le boucle, s'y va ? S'y va pas ? Complètement à côté de leurs pompes l'Isa et l'Egna...<br /> En définitive nous y sommes donc allés bras dessus pieds dessous; de bonne heure et sans sac d'ado nous avons gravi (ça montait...) la route ne serait-ce que pour voir quelle gueule avait la borne "0", la même gueule que les autres mais avec 0,00 km; après elle, le petit phare, après le petit, le grand, l'immense, l'incommensurable Océan...Nous nous sommes cutés l'un à côté de l'autre sur un rocher sans broncher pour contempler le spectacle de l'origine de la Vie; nous sentions bien qu'il fallait que quelque chose sorte de cette aventure, un truc perso, alors j'ai pris le risque de descendre cette falaise rocheuse au plus près des vagues, plus bas, toujours plus bas, pour laisser Isa savourer la toute fin de son rêve, toute en haut je la voyais toute petite, elle m'a percevait tout petit, nous l'étions face à tant de beauté; puis tout devint distinct, le fracas des vagues, le froissement du papier à clope que je bourrais de tabac, le vent dans mon foulard noué à mon javelot planté là derrière moi, je percevais même le silence, le grand silence...Et puis...Et puis ce qui devait arriver arriva, une énorme péniche de joie glissa sur mon lacrymal, suivi d'une autre, et encore et encore; je me suis retourné le nez au ciel pour voir ma belle...J'ai deviné qu'elle aussi se noyait; alors là j'ai compris pourquoi ce putain de chemin n'était pas toujours top, sa beauté est ailleurs, au bout, tout au bout, nous la trouvons, il suffit de regarder en soi...<br /> <br /> Voilà...Falaise que j'le dise !
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